Dans le souci de doter le secteur bancaire mondial d’un cadre réglementaire garant de sa stabilité et de sa pérennité, le Comité de Bâle dont les premières réunions se sont tenues en 1974 définit un ensemble de règles prudentielles. Leur objectif est de maîtriser les risques, dont pour la plus grande part celui de crédit : celui-ci constitue la part la plus importante de la somme totale des risques d’une banque en France ; en décembre 2021, il représentait 87% du RWA total pour les 6 principaux groupes bancaires français (BNP Paribas, Société Générale, Groupe Crédit Agricole, Groupe BPCE, Groupe Crédit Mutuel et La Banque Postale).
Concrétisation d’accords négociés entre les présidents des banques centrales des principales puissances économiques, les règlements du Comité de Bâle ont évolué par étapes. Aujourd’hui, les négociations qui se poursuivent ambitionnent d’instaurer une plus grande standardisation des méthodologies de valorisation pondérée des engagements par les risques. De nouvelles règles dénommées de manière informelle “réglementation Bâle IV” doivent en particulier instaurer plus d’homogénéité dans le calcul du risque de crédit des banques, et être la promesse pour le système financier mondial non seulement de plus de sécurité, de transparence mais aussi de conditions de concurrence plus équitables. Pour autant, imposer des règles semblables à des acteurs aux profils d’activité très divers reviendra-t-il à aller vers des conditions de concurrence plus équitables pour tous ?
Quelles sont les principales réformes pour le risque de crédit ?
La principale réforme de Bâle IV sur le risque de crédit concerne la révision de l’approche standard utilisée par la majorité des établissements bancaires : Elle porte sur une approche de pondération des risques plus détaillée et plus granulaire selon la nature des expositions (banques, entreprises, immobilier résidentiel et commercial, financements spécialisés…) pour prendre en compte les différences de sensibilité au risque, tout en réduisant le recours aux notations externes.
Par ailleurs, les établissements bancaires qui souhaitent conserver l’approche fondée sur les notations internes (IRB) pour le risque de crédit se verront imposer des nouvelles contraintes. Celles-ci consistent notamment en la suppression du droit d’utiliser l’approche avancée A-IRB (advanced internal ratings-based approach) , que chaque autorité de tutelle locale a le loisir d’interpréter et de valider à sa guise, pour les expositions aux établissements financiers et aux grandes entreprises. Elles consistent aussi en la mise en place de nouveaux pourcentages minimaux pour la probabilité de défaut (PD) et la perte en cas de défaut (LGD).
Enfin, afin d’encadrer le bénéfice que les banques pourraient tirer de l’utilisation des modèles internes et afin de réduire les disparités entre les banques dans le calcul des risques pondérés (RWA – Risk weighted assets), une des mesures phare de Bâle IV impose un plancher appelé «Output floor», selon lequel les fonds propres réglementaires d’une banque qui utilise le modèle interne ne peuvent être inférieurs à 72,5% desdits fonds propres calculés à partir du modèle standard.
En termes de calendrier, les différentes réformes envisagées dans le cadre de Bâle IV comportent une mise en œuvre progressive qui s’étend de janvier 2025 jusqu’à janvier 2030.
Quels sont les enjeux pour les établissements bancaires ?
Les enjeux pour les établissements bancaires sont multiples :
- Maintenir un bon ratio de solvabilité face à l’augmentation des besoins en fonds propres découlant des nouvelles mesures applicables à la revue des modèles standards ou internes,
- Préserver leur attractivité commerciale vis-à-vis de leurs clients notamment en limitant les répercussions sur les taux de crédit ou sur les tarifs des autres produits et prestations,
- Préserver au mieux l’octroi de crédit pour favoriser tant la consommation des ménages et l’accession à la propriété que les investissements des entreprises, tout en surveillant le niveau de risque de leurs différentes expositions.
Quels sont les impacts financiers pour les établissements bancaires ?
Les impacts financiers concernant la révision de l’approche standard ou de l’approche interne des modèles du risque de crédit induiront une augmentation du niveau des exigences en fonds propres : selon un article paru dans La Tribune en septembre 2021, les règles de calcul pourraient se traduire par une hausse de plus de 20% des exigences en fonds propres, ce qui représenterait un montant total de 350 milliards d’euros à l’échelle des banques Européennes.
Pour les grandes banques ayant développé des modèles internes, une partie des expositions actuellement traitées selon l’approche par notation interne (notamment pour les banques, les assurances, les entreprises ayant un chiffre d’affaires supérieur à 500 millions d’euros et les portefeuilles d’actions) devront passer soit sous l’approche standard, soit sous l’approche interne fondation (F-IRB).
D’autre part, l’augmentation des risques pondérés sur les financements spécialisés de même que l’augmentation de la granularité sur l’immobilier résidentiel et commercial se traduiront par des hausses de RWA.
En outre, la mise en place des pourcentages minimaux au niveau de la probabilité de défaut (à 5 et 10 points de base) et de la perte en cas de défaut (de 5 à 50% en fonction de la présence de garanties) aura également des impacts sur les RWA calculés par les modèles internes.
Quels sont les impacts opérationnels pour les établissements bancaires ?
Les impacts opérationnels seront très importants pour les établissements bancaires et concerneront notamment :
- la revue et le recalibrage du modèle d’évaluation du risque de crédit prenant en compte les nouvelles contraintes de l’approche standard ou interne,
- l’adaptation des outils actuellement utilisés au sein des Directions des Risques / Finance ou la sélection d’outils innovants afin de répondre aux principes directeurs de la norme BCBS239. Ceux-ci traitent de la gouvernance des données et de la couverture du bon niveau de granularité et d’agrégation pour les reportings permettant d’évaluer le risque de crédit avec exactitude. Ces derniers sont garants de la bonne évaluation des RWA et permettent d’anticiper les visites des Régulateurs.
Ces impacts opérationnels se traduiront par un accompagnement de l’ensemble des Directions impactées au sein des établissements bancaires, notamment la Direction des risques, la Direction Finance, les directions commerciales et la DSI pour la mise en œuvre de solutions adaptées.
Les banques devront donc engager des budgets conséquents, pour des projets de grande envergure qui mobiliseront leurs équipes pendant des mois voire des années pour les plus importantes.
Nous vous proposons ci-dessous notre vision des principaux sujets à inscrire dans la feuille de route pour l’implémentation de Bâle IV au sein des établissements bancaires :
Implémentation de Bâle IV : Exemple de feuille de route
Cadrage métier : Revue et calibrage des modèles
- Modèle standard : Mise en œuvre de la nouvelle grille de pondération de l’approche standard en prenant en compte les nouvelles expositions,
- Modèle interne : Adaptation du périmètre de couverture des expositions et recalibrage des PD et LGD en prenant en compte l’output floor.
Cadrage organisationnel : Revue des processus par Direction impactée
- Directions des Risques : Identification des processus de collecte des données et de production des reportings de risque de crédit à destination du Top management et des Régulateurs,
- Directions financières : Revue du processus d’évaluation des besoins complémentaires en fonds propres et d’évaluation du coût du capital.
- Directions commerciales : Adaptation des processus de tarification des produits à l’entrée en relation et tout au long de la relation d’affaires avec adaptation de la tarification en fonction de la sensibilité au risque des expositions et de son impact sur le calcul des RWA.
Cadrage des solutions informatisées
- Dossier de choix concernant l’adaptation des outils existants de collecte et de production des reporting de risque de crédit versus migration vers des outils plus structurés et performants pour le data management
- Adaptation de l’architecture fonctionnelle et applicative en conséquence
Chantiers Data métier: Data governance, Data management, Data quality
- Définition de la gouvernance des données la plus appropriée pour une gestion intégrée finance – risques,
- Définition d’une politique de data management avec élaboration d’un dictionnaire de données unifié, mieux documenté et partagé par l’ensemble des directions métiers,
- Mise en œuvre des chantiers de data quality avec plan de remédiation pour répondre aux exigences d’intégrité et d’exactitude des données.
Mise en œuvre des reportings
- Conception de reporting adaptables à destination des membres de la Direction Finance / Risques, des membres du COMEX, et des Régulateurs
- Déploiement/Modification des outils de production de reporting permettant d’évaluer le risque de crédit pour répondre aux exigences de granularité et d’agrégation tout en répondant aux enjeux de performance de calcul et de fraîcheur des données liées au traitement d’une volumétrie de données de plus en plus importantes,
Conclusion
La dimension quantitative des réformes de Bâle IV suscite certaines réprobations, et ce d’autant plus que ce sont les banques européennes que le passage à un modèle standard impacterait le plus fortement. Celles-ci sont en proportion plus nombreuses que leurs homologues américaines ou asiatiques à avoir adopté un modèle interne. En particulier, les banques européennes souhaiteraient que le taux plancher à 72,5% soit ramené à 50%. Cela éviterait que l’impact sur leurs fonds propres soit d’une proportion plus importante que celui que subiraient les banques des autres continents. La distorsion de concurrence décriée pourra ainsi être atténuée. A ce propos, la Commission européenne avait d’ores-et-déjà avancé des éléments de réponse en décidant en mars 2022 d’une interprétation des réformes de Bâle au niveau de l’Union. Elle avait notamment fixé le calcul du plancher au plus haut niveau de consolidation, ce qui pour des groupes bancaires de l’envergure de BNP Paribas, Société Générale ou Crédit agricole, représente un avantage substantiel. Au-delà de l’augmentation des fonds propres que va entrainer le respect des nouvelles exigences prévues par la réforme Bâle IV qui sont censées faciliter la comparaison des établissements bancaires pour une concurrence plus équitable, il convient de s’interroger sur la distorsion de concurrence qui pourrait naître dès le lancement du projet de mise en œuvre. Les coûts des investissements devraient sensiblement différer en fonction de la taille des groupes, de leur organisation et du degré nécessaire d’adaptation de leurs systèmes d’information pour répondre aux exigences de la règlementation. Pour autant, au vu de l’investissement global qui devra être anticipé sur les prochaines années pour la mise en œuvre de Bâle IV, les établissements bancaires de petite taille ne bénéficieront pas de conditions de concurrence vraiment plus équitables et se verront certainement contraints d’accélérer leur rapprochement avec de plus grandes institutions bancaires.
Sources :
https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52021PC0663&from=en