Durant la transformation digitale de cette dernière décennie, les designers d’expérience utilisateur (UX) ont émergés comme une force majeure dans la conception de produits et services. Ce métier relativement récent s’appuie, en son centre, sur une compétence humaine (quasi) universelle : l’empathie.
A travers cet article, je me propose de démontrer l’avantage compétitif de l’empathie dans la conception de vos produits et services à partir d’exemples concrets.
Une seconde … qu’est-ce que l’empathie ?
La sémantique émotionnelle dans l’univers professionnel étant parfois mal comprise, il ne s’agit pas de confondre l’empathie avec la compassion.
L’empathie se définit par la « faculté intuitive de se mettre à la place d’autrui, de percevoir ce qu’il/elle ressent » alors que la compassion est un « sentiment qui porte à plaindre autrui et à partager ses souffrances. ».
Dans la conception d’une expérience client, il s’agit ainsi de comprendre globalement les besoins et motivations d’une personne pour les retranscrire le plus fidèlement possible.
Puzzle à 7000 pièces
Cette année 2020 aura été un challenge permanent. Pour mieux transcrire une expérience client basée sur l’empathie, prenons exemple d’une organisation de vacances dans cette situation exceptionnelle que beaucoup d’entre vous auront probablement expérimenté.
Il s’agit principalement de montrer ici l’usage de l’empathie dans un produit et la gestion des différentes étapes dans un parcours client.
La gestion de l’urgence
Vous avez préparé votre voyage : valises prêtes, le plan sur le smartphone remplit de bonnes adresses et les nombreux documents requis bien rangés. Mais voilà, crise sanitaire oblige, tout change et maintenant les horaires, les lieux, les documents et même les valises se rebellent pour vous rendre la vie difficile et votre voyage est modifié ou même annulé.
L’expérience utilisateur dans la gestion d’évènements urgents avec une contrainte forte est une étape cruciale dans la perception qualitative d’un produit ou service. L’empathie joue un rôle essentiel pour cerner dans les différentes étapes de contacts et interactions, les critères de distinction positifs ou négatifs du service.
- Contact et temps de réponse
Les services des voyagistes ont bien saisis l’enjeu avant même la crise récente : les points de contact sont le plus souvent simples et accessibles via un numéro unique.
Le contact par email dans certains cas requiert une très grande attention : temps de réponse et la notification de réception deviennent des éléments polarisants dans la perception de qualité du service entier.
Les temps d’attente longs au téléphone sont directement liés à une forte augmentation de l’anxiété, c’est un élément à prendre en compte dans la gestion de l’appel et des techniques employées. Une recherche de Google montre que le temps d’attente moyen considéré comme « acceptable » par les utilisateurs est de deux minutes ou moins.
- Messages, interactions et … disco
Utiliser le bon ton pour le bon message est un poncif qui n’est pourtant pas toujours respecté.
Dans le cas des différents sites de voyage, l’utilisation d’un serveur vocal pour qualifier la demande n’est pas une mauvaise idée, en revanche la commande vocale par l’utilisateur (après le bip dites « anticonstitutionnellement ») relève parfois du challenge sans évoquer le manque d’accessibilité : dommage si vous avez un « accent » ou êtes atteint de surdité.
L’empathie sera vecteur d’inclusion dans ce contexte et l’usage de moyens accessibles au plus grand nombre sera une véritable distinction.
Autre élément souvent négligé : les musiques d’attente. D’autant plus après 10 minutes, la qualité médiocre ou un rythme très rapide voire enjoué ne vont pas de pair avec la déclaration d’un problème. D’ailleurs, adapter le fond sonore en fonction de la requête utilisateur serait a minima une bonne idée, le disco c’est sympa mais en situation de stress l’effet est perturbant. En revanche, l’estimation du temps d’attente régulièrement communiqué au client est essentiel, très peu utilisée malgré l’abondance d’outils le permettant.
Enfin, la réponse des agents est primordiale. Il ne s’agit en aucun cas d’atteindre la perfection mais plutôt de se montrer rassurant. Il s’agit d’une application littérale de l’empathie pour une réponse pertinente. Le but étant de pouvoir informer au maximum avec une prise en compte de la situation personnelle pour simplifier les informations et démarches.
- Gestion du temps
Les utilisateurs déjà en situation de stress élevé auront d’autant moins la capacité cognitive pour gérer la complexité : des démarches trop nombreuses ou la demande d’informations multiples sont des freins dans la qualité d’accompagnement.
De manière générale, si plusieurs interlocuteurs sont impliqués, un travail en profondeur est nécessaire pour éviter les pertes d’informations ou les renvois entre plusieurs services. C’est une cause majeure de frustration client qui les placent en situation de gérer eux-mêmes les déficiences de parcours.
Dans cette phase particulièrement sensible pour un utilisateur, l’usage de l’empathie permet de comprendre pourquoi certaines pratiques habituelles (le fond sonore mal réglé, la navigation sur serveur vocal) ne sont pas recommandées et, surtout, comment améliorer le service dans cette situation particulière.
Dans le cas d’un voyage modifié ou annulé dans des temps courts, la charge émotionnelle élevée requière une approche adaptée puisque chaque situation est différente et le besoin de solutions rapides et rassurantes sont autant de points qui confirmeront (ou non) l’adhésion à un service ou une marque. Un objectif est de ne pas faire peser sur le client la charge d’une recherche d’informations ou de démarches supplémentaires.
Être empathique sera un gage de proactivité : pouvoir proposer des solutions adaptées à une situation récurrente qui permet la quasi-personnalisation de la réponse.
Dans l’urgence, un utilisateur sera enclin à « subir » une situation mais n’oubliera pas de réévaluer son choix de produit dès cette période terminée, d’autant plus si un point de comparaison se présente : voyagistes nombreux, retour d’expériences de proches, etc.
Le jour d’après
La gestion de l’urgence nous l’aurons compris se concentre sur un contact rapide et une réponse précise et rassurante. Mais ensuite ?
Un effet à prendre en compte est la règle « apogée – fin » (peak-end rule) qui signifie qu’un utilisateur fondera le plus souvent son impression finale sur l’apogée émotionnelle et la fin d’un parcours et non sur une véritable moyenne de l’ensemble.
Dans le cas d’un voyage annulé ou très largement modifié, l’apogée se situe dans la gestion de l’urgence comprenant la vitesse de contact et la pertinence des réponses. Avec de grandes incertitudes, la qualité et le temps de réponse avec les services clients sont primordiaux.
Cette règle est cependant dynamique. En clair, l’expérience de l’apogée aura d’autant plus d’impact lorsqu’elle est récente avant d’entamer une progressive dispersion dans le temps. La difficulté principale dans une apogée comme celle de notre exemple (early peak) sera d’obtenir une résolution suffisamment rapide pour garantir une qualité perçue suffisamment bonne.
L’utilisation de l’empathie permet de mieux comprendre et adapter un parcours en fonction des étapes et attentes utilisateurs selon leur situation.
Un parcours de « réparation »
La démarche post-urgence sera double : procédure administrative auprès des services puis celle de la résolution. Il existe plusieurs parallèles que nous pourrions faire comme par exemple une demande auprès d’un support technique ou encore la recherche d’emploi qui partagent certaines attentes élevées et contraintes de temps fortes.
Simplicité d’accès et digitalisation
Le besoin de rapidité et de simplicité est d’autant plus important que la disponibilité cognitive sera faible : nombreuses actions à effectuer, anxiété de la résolution et attente.
Ainsi, le numérique représente parfois une simplicité d’accès et de gestion qui permet de gagner du temps. Dans le cas précis de services clients, la gestion purement digitale n’est pas toujours la plus évidente.
Comme dans le cas du téléphone, le principal besoin est d’obtenir une réponse rapide en un temps considéré comme « raisonnable ». Comme vu plus haut, l’envoi par email ou formulaire de contact présuppose une notification de réception pour amorcer une première communication et mieux encore : donner un délai. C’est le point crucial qui permet de garder une qualité perçue de service élevée tout en réduisant l’anxiété du client.
Pour les formulaires, le nombre d’informations demandées doit être réduites au strict minimum et être adapté au contexte du client : smartphone à l’ordinateur de bureau, les champs doivent toujours être utilisables et clairs dans les informations attendues et disposer autant que possible d’auto complétion (lieux, documents à joindre, aide à la rédaction, …).
De plus, respecter les standards et recommandations d’accessibilité les plus élevées est un minimum pour offrir une qualité de service adaptée au plus grand nombre.
Enfin, donner le contrôle à l’utilisateur reste toujours la meilleure option. Dans le cas d’un voyage annulé par exemple, avoir le choix dans la résolution (remboursement, décalage, bon d’achat) permet de garder une perception de qualité élevée et d’automatiser certaines démarches qui pourraient être chronophages dans le cas d’une gestion individuelle par téléphone ou email.
Transparence et relai de l’information
La digitalisation n’est donc pas une innovation intrinsèque mais un outil qui ouvre la possibilité d’un accès rapide pour les utilisateurs qui, avec une utilisation de l’empathie pour cerner au mieux leurs attentes et besoins réels, peut améliorer certaines démarches.
L’arrivée massive du digital sans prise en compte de leurs besoins et, dans mon expérience, j’ai pu effectuer des recherches dans le secteur de l’emploi ou le support client qui souvent produisent des remarques similaires.
Revenons rapidement à notre graphique « apogée – fin », une fois la phase d’urgence passée commence l’attente. Les démarches de base effectuées, l’expérience initiale retombe et les étapes suivantes sont la clé pour garder une impression de qualité de service constante avant la résolution du problème.
Si vous avez déjà contacté un support client pour annuler un voyage cette année, vous avez probablement ressenti durant l’attente une forme d’anxiété, plus ou moins élevée selon votre contexte.
A noter : durant mes recherches portant sur une centaine de personnes : pour une expérience bonne, une moyenne d’attente de 2 semaines à 1 mois est considérée comme acceptable lors de situations hors urgence. Ceci, bien sûr, si la transparence est garantie : obtenir un statut de ma demande régulièrement et si celle-ci change de statut, être informé selon le medium qui convient : sms, courriel, etc.
Ce qui signifie que, si le résultat obtenu est subjectivement décevant, la perception du service sera d’autant moins bonne même si la gestion de l’urgence est quasi-parfaite.
Parlons banque : le KYC
Historiquement, dans la banque, le Know Your Customer (KYC) est l’ensemble des processus qui permettent d’identifier un client et évaluer son risque inhérent.
En l’utilisant dans une vision empathique, il peut aussi être une manière d’adapter les interactions avec un utilisateur en prenant en compte les informations que l’on connait à son propos. In fine, le but est de pouvoir s’adresser à un client avec un niveau de personnalisation élevé qui peut parfois donner l’impression d’un service sur-mesure sans pour autant alourdir les procédures.
Par exemple : lorsque nous appelons un service assistance, nous devons produire des éléments permettant de s’identifier puis rappeler notre situation actuelle et enfin obtenir un statut de la demande en cours. D’un point de vue client, la somme accentue la complexité ressentie de la situation et augmente l’impression de lenteur voire même d’inefficacité. Une bonne pratique est d’identifier par numéro de mobile le client et confirmer avec celui-ci que l’appel porte sur un dossier en cours ou non, on vous connait et on vous le montre.
De nombreux secteurs dans le digital utilisent ces méthodes et deviennent les standards avec lesquels les utilisateurs jugent la qualité de service.
Avant de se quitter
J’espère qu’à travers cette expérience, vous aurez pu apprécier l’avantage de l’empathie et des démarches qui la valorise tel que le Design Thinking.
Voici en synthèse les avantages d’une approche empathique dans la conception de produit ou services :
- Une perception de qualité de service élevée et, en retour, une adhésion plus rapide aux autres produits et services d’une marque.
- Une réduction des frictions dans les interactions entre utilisateurs et l’assistance par une compréhension améliorée via une amélioration continue des pratiques.
- Un temps de mise sur le marché divisé en moyenne par 2 : la compréhension des situations et besoins des utilisateurs évitent les produits trop complexes et difficiles à concevoir.
- Une amélioration des échanges et pratiques des équipes internes à travers un objectif commun : les problématiques exprimées par les utilisateurs au centre des enjeux.
- Une connaissance plus pointue de vos clients et par extension, une meilleure qualité de service objective.
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Sources :
Sympathy vs. Empathy, N/N Group, Sarah Gibbons (2019) https://www.nngroup.com/articles/sympathy-vs-empathy-ux/
Peak-end rule, UX Collective, Jon Yablonski (2019) https://uxdesign.cc/peak-end-rule-54eedd375c4d
Know Your Customer (KYC), Wikipedia https://fr.wikipedia.org/wiki/Know_your_customer